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Prisons Maroc. Welcome to Oukacha !

Prisons. Welcome to  Oukacha !  
Surpeuplement, favoritisme, corruption, agressions sexuelles, trafic de drogue… telles sont les conclusions d’un rapport accablant établi par une commission parlementaire qui s’est récemment rendue au pénitencier casablancais.
Des cellules délabrées où les détenus dorment à même le sol, entassés à plusieurs dans des chambrées exigües et mal aérées ; des gardiens qui organisent le trafic de drogue, de cigarettes et de téléphones portables ; des détenus violentés par les matons et sexuellement agressés par leurs compagnons de cellules… Voilà, en gros, à quoi ressemble la prison Oukacha de Casablanca, selon un rapport de 90 pages établi par douze élus de la nation. Ces derniers ont eu récemment accès au plus grand centre pénitentiaire du royaume, dans le cadre d’une commission parlementaire qui leur a ouvert les portes des ailes de la prison et fait délier les langues des détenus. Constats : à l’image de toutes les geôles marocaines, Oukacha est surpeuplée. Alors que ce centre est censé accueillir 5800 détenus, il en héberge 7572. “Et encore, nuancent les auteurs du rapport, nous soupçonnons l’administration d’avoir transféré plusieurs centaines de détenus vers d’autres prisons à la veille de notre visite”. Et malgré cela, le rapport évoque des cellules d’à peine 20 mètres carrés, disposant de huit lits et accueillant 30 prisonniers. Faites le calcul : cela fait environ un lit pour 4 détenus. Circonstance aggravante, plusieurs lits ne disposent même pas de matelas. “Ces derniers ont été détruits lors d’un incendie et n’ont plus jamais été remplacés”, peut-on lire sur le rapport.
Sex, drug & fala9a
Dans les cellules de Oukacha, les conditions sont inhumaines. Les députés relèvent que les toilettes n’ont souvent pas de porte, obligeant les détenus à faire leurs besoins au vu de tous ! Et ça ne s’arrête pas là. “Vu qu’il n’existe pas de réfectoire digne de ce nom, poursuivent les membres de la commission parlementaire, les détenus sont obligés de manger leurs repas dans ces mêmes cellules surpeuplées”. Et pas question de laisser ses affaires personnelles sans surveillance, au risque de se faire détrousser. “Certains prisonniers évitent de sortir pendant la promenade, de peur de se faire voler leurs affaires, dans la mesure où il n’y a pas de placards ou de casiers sécurisés”, poursuivent les rédacteurs du rapport. Et la violence est omniprésente en prison. Une prisonnière a ainsi raconté aux membres de la commission comment elle a été violée durant sa première nuit de taule. “Lorsqu’on est placé en cellule, on est encore sous le choc de l’enfermement. On ne sait donc pas comment réagir. Et puis, au fil du temps, on s’habitue”, témoigne-t-elle devant les élus. “Les prisonniers souffrent de désœuvrement, ce qui favorise l’apparition de telles pratiques. En plus, le sexe est souvent utilisé comme une monnaie d’échange pour accéder à certains privilèges ou bénéficier de protection de la part des plus anciens”, peut-on lire sur le rapport. Puis il y a la violence exercée par les matons. Elle serait systématique, selon les auteurs du rapport qui évoquent, entre autres, des séances quotidiennes de fala9a (châtiment corporel). Pour prolonger le supplice, les détenus seraient même obligés de courir sur leurs pieds meurtris ! “Les gardiens, qui travaillent eux-mêmes dans de mauvaises conditions, ne sont pas suffisamment formés aux droits de l’homme et ne sont pas sensibilisés à la nécessité de préserver la dignité des détenus”, concluent les députés.
Détenus VIP
A Oukacha, tous les détenus ne sont pas logés à la même enseigne. Les pensionnaires de certaines ailes bénéficieraient même de plusieurs avantages. C’est notamment le cas du quartier n°5, surnommé Abu Dhabi par les prisonniers. On y serait transféré contre des sommes allant de 20 à 50 000 dirhams, versés à des intermédiaires ou à des fonctionnaires. Les pensionnaires de ce quartier auraient ainsi droit à une douche chaude quotidienne (les autres ont droit à une douche à l’eau froide une fois par semaine), en plus de pouvoir profiter de promenades à longueur de journée. Selon le pamphlet des députés, ces détenus VIP sont hors de leurs cellules de 9h à midi et de 14h30 à 17h30.
Qui retrouve-t-on dans ces ailes exceptionnelles ? Le rapport ne le dit pas clairement, mais il relève que le quartier réservé aux grands trafiquants de drogue bénéficie des mêmes avantages. Et les auteurs du rapport parlementaire évoquent l’existence d’un réseau organisé pour le trafic de cigarettes, de téléphones portables et de drogue au sein même de Oukacha. Un réseau où trempent des fonctionnaires de la prison et qui bénéficierait de la protection d’un cadre au sein de l’administration centrale. Les paquets de cigarettes (bas de gamme) sont ainsi commercialisés entre 50 et 75 dirhams l’unité. 1000 téléphones portables seraient quotidiennement loués à des détenus contre des sommes d’argent déterminées à l’avance. “Le trafic de drogue se fait avec l’aide de l’administration de la prison”, écrivent les parlementaires. Pire, ces derniers vont jusqu’à soutenir que la recette de ce trafic serait versée au directeur du centre pénitentiaire !
Au final, les membres de la commission parlementaire émettent plusieurs recommandations, parmi lesquelles une redéfinition de la relation entre le gouvernement et l’administration pénitentiaire, ainsi que l’audit des comptes de cette dernière. Facile à dire…