Si les indignés du monde entier avaient trouvé en Stéphane Hessel un père spirituel, Jean-Luc Mélenchon est lui devenu leur roi. Le dissident socialiste, leader soixantenaire du Front de Gauche, occupe le devant de la scène politique française et enraye la belle mécanique du premier tour de la présidentielle. Il frôle les 15 % d'intentions de vote et a su s'attirer les sympathies de catégories hétérogènes, frappées par la paupérisation et le déclassement au sein de cette Europe de la crise et des coupes budgétaires. Jeunes, femmes au foyer, employés, intellectuels, ouvriers, classes moyennes, ils partagent – précisément – une indignation commune envers ces autres catégories toujours épargnées : les riches, les évadés fiscaux, les banquiers, les financiers.
Mélenchon, sourire renfrogné de bulldog qu'adoucit un regard bleu encadré de tempes grisonnantes, déplace les foules (100 000 personnes place de la Bastille à Paris) et ne retient pas ses coups contre la modération d'un François Hollande, le candidat socialiste donné favori, contraint désormais de négocier le soutien du Front pour le sprint de l'entre-deux-tours et les législatives de juin. Les Français s'interrogent sur les garanties qu'Hollande devra offrir à un allié peu commode, qui rêve même de l'évincer et a inclu parmi les mesures phares de son programme la retraite à 60 ans, l'augmentation du salaire minimum [à 1 700 euros], l'abrogation du pacte de stabilité européen et une défense à outrance de l'Etat social. Hollande a parié lui sur l'envie de changement, sur l'antisarkozisme, mais aussi sur l'adhésion des modérés à un projet réformiste d'Etat social et d'assainissement des finances publiques. La France, c'est bien connu, est un pays aussi conservateur qu'élitiste, mais également épris de justice, où l'écart entre les riches et les pauvres et la pression fiscale effective sur les classes aisées sont moins indécents que chez la plupart de ses voisins européens.
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