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Les Suisses secoués par la hausse du franc

Les exportateurs sont les premières victimes du franc suisse fort, qui a aussi permis d'ouvrir un grand débat sur le coût de la vie dans la Confédération.
Il est rare de voir des employés d'ambassade faire grève. On imagine des conditions de travail plutôt agréables et des primes d'expatriation confortables. C'est pourtant la décision qu'ont prise des salariés de l'ambassade du Portugal en Suisse : en raison de la hausse du franc suisse face à l'euro, conjuguée à une baisse de 10% des traitements dans l'administration portugaise, ils ont vu leur salaire fondre au cours des six derniers mois de 4500 à 3000 francs suisses (environ 2500 euros). Une situation qui rend leur vie dans la Confédération helvétique particulièrement compliquée.
Avec la crise économique et les incertitudes sur l'euro, les investisseurs se sont rués sur le franc suisse vu comme une valeur refuge au milieu d'une zone euro submergée par sa dette. Résultat, le franc s'est apprécié de 20% par rapport à la monnaie unique depuis le début de l'année. À la mi-août, la parité entre les deux monnaies a même été atteinte. Une bonne nouvelle pour tous les frontaliers payés en francs suisses, et qui voient leur pouvoir d'achat bondir en France ou en Allemagne. Pour l'économie suisse au contraire, ses produits sont devenus beaucoup trop chers à vendre à l'étranger.
Désormais le chômage menace le pays alpin, pourtant épargné jusqu'à présent par la crise économique. Certains exportateurs de produits manufacturés à très haute valeur ajoutée, comme du matériel de précision pour l'aviation, ont perdu leur marge. Le Conseil fédéral (l'équivalent du gouvernement) a décidé mercredi d'octroyer une première aide de 870 millions de francs (presque 750 millions d'euros) dont la majorité ira à l'assurance-chômage. «Il faudra probablement compter avec des pertes d'emploi et des licenciements, voire même des cas de délocalisation», a prévenu le département fédéral de l'Economie.

En Suisse, on travaille plus pour gagner… pareil

Face au péril pour les entreprises, les premières mesures ont été prises. Dans l'usine de Lonza, qui fabrique des matériels pour l'industrie pharmaceutique dans le Valais, les salariés vont désormais travailler une heure et demie de plus par semaine pendant 18 mois pour le même salaire. A Genève, on a recours au temps partiel pour absorber le manque à gagner, et dans le canton de Vaud, les entreprises exportatrices ont perdu 30% de leurs marges. Mais cela ne suffit pas à compenser la force du franc, et les produits suisses se vendent moins à l'étranger. Conséquence de cette situation, «notre balance commerciale vient de devenir déficitaire», révèle le conseiller d'État vaudois en charge de l'économie, Jean-Claude Mermoud.
Pour certains commerçants situés du côté suisse de la frontière, la situation est en effet désespérée: les vendeurs de voitures ont été obligés de mettre en place des circuits d'importation parallèle aux circuits officiels pour ne pas perdre tous leurs clients. Le tourisme est aussi touché de plein fouet, les hôtels et les restaurants devenant hors de prix pour les voyageurs européens ou américains.

Un sursaut salutaire pour les consommateurs

La hausse dramatique du franc a aussi l'effet d'un sursaut pour les consommateurs helvètes. Avec la parité, ceux-ci se sont rendu compte qu'ils payaient depuis longtemps les produits fabriqués en Europe beaucoup trop chers. La polémique sur le prix des produits Nivea fabriqués en Allemagne par Beiersdorf a servi de catalyseur,avec l'exemple du tube de crème solaire qui coûte 20 francs (17 euros) en Suisse, contre 7,70 euros en Allemagne. La question des prix est devenue «le grand débat de l'année», se réjouit Mathieu Fleury, secrétaire général de la Fédération romande des consommateurs. «Enfin le pouvoir d'achat devient un thème de campagne», explique-t-il, alors que les élections fédérales auront lieu cette année.
«Cette conjoncture particulière a montré au grand jour que la plupart des produits importés de l'Union européenne sont vendus sans raison beaucoup plus chers en Suisse», souligne l'avocat des consommateurs. Face à la hausse du franc, les Suisses «ont réagi avec leurs pieds» en allant faire leurs courses de l'autre côté de la frontière, explique-t-il. Les deux acteurs principaux du marché, les supermarchés Migros et Coop ont finalement décidé de réagir face à la grogne de leurs clients, en instaurant des baisses de prix très importantes sur le panier de la ménagère. Devenus victimes de la crise économique malgré eux, les Suisses réfléchissent désormais à un assouplissement de leur législation très contraignante pour la grande distribution. «Finalement les Suisses se mettent à parler d'argent, ce qui n'était pas le cas auparavant», conclut Mathieu Fleury.