Que les politiques d'austérité soient mauvaises pour la croissance et l'emploi, c'est désormais admis par la plupart des économistes. Mais qu'elles le soient encore plus qu'on ne le pensait, c'est ce qu'ont découvert deux d'entre eux, et pas les moindres : Olivier Blanchard, un Français chef économiste au FMI, et Daniel Leigh, économiste dans la même institution. Selon eux, l'utilisation d'un mauvais coefficient de calcul a débouché sur une sous-estimation des effets négatifs de l'austérité en Europe.
Les deux économistes détaillent leur thèse dans un article publié le 3 janvier sur le site du FMI, mais dans une rubrique où les textes ne représentent pas la position officielle de l'organisation. «Nous démontrons que, dans les économies développées, une plus forte consolidation fiscale est allée de concert avec une croissance plus faible que prévu, écrivent-ils. Une explication naturelle est que les multiplicateurs fiscaux étaient nettement plus haut que ce que les prévisions estimaient implicitement.»
Le multiplicateur qui divise
Le «multiplicateur» en question est le coefficient reliant l'évolution des dépenses publiques (ou des impôts) au taux de croissance de l'économie. Lorsque ce coefficient est de 0,5, par exemple, cela signifie qu'un point de dépense publique en moins, ou d'impôt en plus, entraîne une baisse de 0,5 point de l'activité. «Il y a deux façons de le calculer, explique Xavier Timbeau, économiste à l'OFCE. Soit en faisant de l'analyse historique, en regardant les liens passés entre les politiques budgétaires et l'activité ; soit en construisant un modèle économique et en étudiant les relations entre ses différents composants. Dans les deux cas, ce ne sont pas des modèles neutres : leur construction comporte toujours une part d'a priori, qui correspondent à des idéologies.»
Or, selon Blanchard et Leigh, le multiplicateur «de crise» pourrait être jusqu'à trois fois supérieur à celui des périodes «normales», utilisé jusqu'à présent. Les deux économistes l'avaient déjà écrit dans le très officiel rapport annuel du FMI, publié en octobre 2012 (page 41) : «De nombreux documents, dont certains issus du FMI, suggèrent que les multiplicateurs fiscaux utilisés dans les prévisions se situent autour de 0,5. Nos résultats indiquent que ces multiplicateurs se sont en fait situés entre 0,9 et 1,7» depuis le début de la crise. En clair, l'impact de l'austérité serait, selon les cas, de deux à trois fois plus important que prévu.
«Jusqu'à présent, on a appliqué au temps de crise le multiplicateur des périodes normales, explique Xavier Timbeau. Or, dans une crise, tout le monde panique. Les gens ne se conduisent pas de la même façon et personne ne peut anticiper le futur. Par ailleurs, si l'austérité est beaucoup plus récessive qu'on ne le pensait, cela veut aussi dire qu'une politique de relance serait beaucoup plus efficace qu'on ne l'imagine !»
«Il y a deux FMI»
L'article de Blanchard et Leigh a fait réagir l'économiste Paul Krugman, Prix Nobel d'économie 2008. «Le FMI était moins enthousiaste vis-à-vis de l'austérité que les autres grands acteurs, rappelle-t-il sur son blog. Si lui-même dit qu'il s'est trompé, cela signifie que tous les autres [...] se sont encore plus trompés. Et il a le mérite de vouloir repenser sa position à la lumière des faits. La véritable mauvaise nouvelle, c'est que bien peu d'autres acteurs font la même chose. Les dirigeants européens, qui ont créé des souffrances dignes de la crise de 1929 dans les pays endettés sans restaurer la confiance financière, persistent à dire que la solution viendra d'encore plus de souffrance.»
Ne pas déduire, cependant, que le FMI remet en cause l’austérité dans son principe. Comment le pourrait cette institution qui a participé, notamment, à l'élaboration du très sévère programme grec ? C’est plutôt l’intensité des politiques d’austérité que remet en cause le Fonds, puisque leurs effets se révèlent plus importants que prévus. Cela rejoint d’ailleurs la position officielle du FMI : sa directrice générale, Christine Lagarde, réitère régulièrement ses appels à des trajectoires plus «douces» de diminution de l’endettement et du déficit budgétaire.
«Il y a deux FMI, la tête et le corps, estime cependant Xavier Timbeau. En Grèce, c’est lui le plus ferme sur l’austérité, encore plus que la Commission et que la BCE. Quoi que disent Blanchard ou Lagarde, sur le terrain, le Fonds applique le plan décidé entre le pays et ses créanciers. Il faudra du temps pour que le changement infuse dans l'institution et en Europe. Il y a aussi le risque qu'il reste confiné dans les hautes sphères du FMI, sans percoler vers le terrain.»
L’Europe semble d’ailleurs s’engager dans cette direction. Fin 2012, la Grèce a ainsi obtenu un délai supplémentaire de la part de ses créanciers. Et si le gouvernement français s’accroche obstinément à son objectif de 3% de déficit budgétaire pour 2013, auquel il est le seul à croire, c’est en dépit des conseils du FMI et de Bruxelles, qui prônent désormais un «ajustement plus doux» pour le Vieux Continent. Après l'essorage.
LIBERATION