La création d'îles artificielles au large de Dubaï, la
quasi disparition de la mer d'Aral ou encore l'explosion de l'urbanisation de
Las Vegas en plein milieu du désert : autant de phénomènes survenus ces trente
dernières années rendus visibles par le projet Timelapse, qui permet de
mesurer à quel point la face de la Terre a changé sous l'effet du changement
climatique et des activités humaines.
Travail tant phénoménal que captivant, cette
carte interactive propose d'explorer les évolutions de chaque recoin de la
planète entre 1984 et 2012. Indiquez un lieu dans le moteur de recherche et, en
quelques secondes, s'offre à vous trente années d'évolution.
Ces transformations ont été captées par huit
satellites du programme Landsat, un
projet du Centre américain de veille géologique des Etats-Unis (USGS) et de la
NASA lancé en 1972. En orbite à 705 km au-dessus de la Terre, ces yeux célestes
cartographient l'intégralité de la planète tous les 16 jours depuis 41 ans. Deux
millions d'images sans nuage - soit 909 teraoctets (1012) de données
- ont ensuite été agrégées par Google avant d'être publiées pour la première
fois sur le site du
géant américain conjointement avec le magazine Time. Des GIFs
sont aussi accessibles sur Google+, dévoilant des parties spécifiques de la
planète.
Le résultat est saisissant. Qu’il s’agisse de la
vaste étendue géographique couverte sur une si longue échelle de temps ou du
niveau de détail stupéfiant. Imaginez : une image de télévision haute définition
(HD) est composée d'environ 2 millions de pixels. Les clichés de Landsat, eux,
pèsent 1 800 milliards de pixels, soit l'équivalent de 900 000 téléviseurs HD
assemblés en une seule mosaïque.
Ces images ne sont pas seulement esthétiques. Elles
livrent des informations cruciales et impartiales sur le changement climatique
en cours, l'état des ressources naturelles et l'explosion urbaine. Ici, on
assiste, stupéfaits, à la transformation du sable en verte prairie en Arabie
Saoudite sous l'effet de l'irrigation massive ou à l'expansion de tous côtés de
Shanghai, passée de 13,3 millions d'habitants en 1990 à plus de 23 millions en
2010.
Là, on observe, impuissants, la fonte du glacier
Columbia en Alaska à un rythme de 30 mètres par an depuis 2001, à la disparition
des paisibles forêts de la province canadienne de l'Alberta dévorées par
l'exploitation effrénée de sables bitumineux, au recul de l'Amazonie brésilienne
sous l'effet de la construction de routes, l'exploitation forestière et le
défrichement agricole ou, en France, au bétonnage de la Côte d'Azur.
"Tout comme l'image mythique de la Terre
prise par la mission Apollo 17, cette carte est non seulement fascinante à
explorer, mais peut nourrir la réflexion de la communauté internationale sur la
façon dont nous vivons sur notre planète et les politiques qui nous guideront à
l'avenir", espère Rebecca Moore, responsable ingénierie pour le moteur
Google Earth et Earth Outreach.
Difficile, de fait, de ne pas s'interroger sur le
rôle de l'homme dans l'évolution de la Terre, alors que la concentration de
dioxyde (CO2) dans l'atmosphère a franchi, jeudi 9
mai, le cap symbolique de 400 parties par million, plus haut seuil depuis
plus de 2,5 millions d'années. A moins que l'on préfère flâner dans les méandres
de la planète bleue. Au risque de s'y perdre.
Audrey Garric - LE MONDE