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29.10.12

Portugal: Père à plein temps

Dessin d'Ares.Lorsqu’on observe la tendresse avec laquelle João Miguel Tavares berce sa fille âgée de vingt jours, on peine à croire qu’il s’agit du même homme qui a confessé à de nombreuses reprises par le passé, dans ses livres et ses chroniques, qu’il n’avait aucune empathie pour les bébés.

Rita se niche dans les bras de son père. Celui-ci écrit sur les péripéties de la paternité dans sa chronique dominicale pour le quotidien Correio da Manhã. Elle s’endort pendant que son père explique qu’il fait tout pour être à la hauteur pour son quatrième enfant : “La première année de paternité a été angoissante pour mes trois premiers enfants. Je n’ai pas vécu cette période d’une façon satisfaisante.” Du coup, il a décidé de profiter du congé paternité en faisant de la place dans son agenda chaotique afin d’être plus “attentionné”.

Tavares appartient à une génération de pères plus participatifs et affectueux, qui veulent être présents au quotidien auprès de leurs enfants. Cette année, il fera partie des près de 65 000 hommes en congé paternité – soit 60 % de plus qu’il y a dix ans. L’augmentation est encore plus significative en ce qui concerne le partage du congé maternité entre hommes et femmes. En 2009, date de l’entrée en vigueur d’une nouvelle législation en la matière, seuls 0,6 % des couples se répartissaient ces congés, contre 21 % en 2011.

Le nombre de pères qui assument seuls les soins de leur enfant pendant au moins trente jours a donc progressé de 3 500 %. Ces hommes ont également des relations conjugales plus égalitaires. “Mon grand-père ne faisait rien à la maison. Mon père lavait au moins la vaisselle. Quel père, aujourd’hui, ne sait pas changer une couche ?” ironise Tavares.

La sociologue Karen Wall confirme cette évolution : “Des politiques ont été mises en place et des changements se sont produits au sein des familles et dans les rapports conjugaux, qui se construisent plus autour du dialogue et du partage équitable des tâches.” Ce changement est stimulé par “la participation accrue de la femme au marché du travail ces dernières décennies”, poursuit Karen Wall. Selon elle, le fait que les pères d’aujourd’hui veuillent s’éloigner “de la vieille figure du père distant, autoritaire et peu affectueux” a fait le reste.

A l’aise pour le bain et les couches

Sancha, la compagne de Tito de Almeida, est assistante sociale à l’Instituto de Emprego [l’équivalent de Pôle emploi] de Coimbra, mais elle travaille sous le régime des recibos verdes [“reçus verts” ; conçus à l’origine pour rémunérer les travailleurs indépendants, sans couverture sociale, ils se sont généralisés, notamment dans la fonction publique], ce qui ne lui octroie que six semaines de congé maternité [contre 4 à 5 mois pour les salariés]. Tito n’a donc pas hésité quand sa femme lui a proposé de prendre le congé pour s’occuper de leur nouveau-né. “J’ai toujours été à l’aise pour ces choses-là, précise-t-il. En plus, j’avais l’expérience de mon premier enfant, je m’y connaissais déjà en bains et tout le reste…” Cinq mois ont passé, l’aventure se termine. Le dernier jour du congé, il résume son expérience en un mot : “Fantastique !”

Les pères qui assument la majeure partie du congé maternité sont encore peu nombreux, mais la possibilité qui leur en est donnée est, en soi, une conquête singulière au niveau mondial. La reconnaissance de la capacité des pères à s’occuper seul de leurs enfants est entrée en vigueur il y a treize ans au Portugal, lorsque fut créé le congé paternité. A l’époque, cela consistait en trois jours non obligatoires. Ensuite, la durée a été portée à cinq puis à dix jours obligatoires.

En 2009, le Portugal est passé du statut de dernier de la classe en Europe à celui d’exemple. Hormis la Suède, la Finlande, l’Allemagne et l’Autriche, c’est le seul pays à permettre au père de bénéficier d’un congé paternité exclusif et entièrement rémunéré. La loi mise en place par le gouvernement socialiste visait à promouvoir le partage du temps accordé aux nouveau-nés. Mission accomplie selon les statistiques, puisque en 2011 près de 55 000 hommes ont bénéficié de la loi en restant vingt jours avec leur bébé (dix jours obligatoires plus dix jours facultatifs) et 17 000 ont souhaité profiter du cinquième mois du congé maternité, qui peut leur être accordé si la mère reprend le travail à l’issue des quatre mois.

Si les pères n’allaitent pas, ils peuvent donner le biberon. C’est ainsi que Ricardo Lopes a pris un congé d’allaitement à la place de sa femme pour chacun de ses deux enfants. La loi permet la transmission de ce droit et la mairie de Loures [ville au nord de Lisbonne] où il travaille ne s’est pas opposée à ce qu’il bénéficie des deux heures par jour de dispense. “Ma femme avait une activité plus exigeante que la mienne. Quand j’ai compris que je pouvais avoir droit à ces heures, je n’ai pas hésité”, raconte-t-il. S’il reconnaît qu’il a eu “de la chance d’avoir un chef très ouvert”, Ricardo a noté des réactions différentes de la part de ses collègues. “J’ai été vu par les femmes comme un exemple. Mais du côté des hommes… J’entendais : ‘Alors, t’as beaucoup de lait aujourd’hui ou t’as presque rien ?’”

Dans le cas de João Miguel Tavares, cette pratique n’a rien de nouveau : sa femme, médecin, lui donne de bon gré le lait maternel pour le biberon afin qu’il puisse s’occuper de sa fille.
COURRIER INTERNATIONAL