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Eternelle DS

Face à une ancienne gloire de l’automobile, les sentiments que l’on éprouve généralement varient entre l’attendrissement et la nostalgie. Rien de tout cela lorsque l’on considère la Citroën DS. Soixante ans après sa naissance, cette voiture fait toujours son effet, comme si on la découvrait pour la première fois. Six décennies plus tard, on prend toujours au sérieux la merveille de Javel (nom du quartier de Paris où étaient installées les anciennes usines Citroën).
La DS n’est pas pour autant un modèle précurseur : elle n’eut pas de véritable descendance et son obsession du tout hydraulique ne s’est pas imposée comme un standard. C’est cela, aussi, qui en a fait une icône et conservé intacte la charge d’innovation et d’audace qui fit sensation, en octobre 1955, sous la verrière du Grand Palais, où se tenait alors le Salon de l’automobile.
L’attente de la nouvelle Citroën avait été longue. L’enjeu n’était pas mince : donner une descendance à l’héroïque Traction, née en 1934, et qui, vingt et un ans plus tard, continuait de fort bien tenir son rang. Les révélations de L’Auto-Journal, qui lui avaient valu d’être poursuivi en justice par la marque aux chevrons, avaient en partie levé le voile mais on n’imaginait pas que les concepteurs de la DS renverseraient à ce point la table.
Le secret de cette automobile de rupture, c’est qu’elle s’inscrit dans une continuité. Chez Citroën, on a commencé à réfléchir dès 1938 à la succession de la Traction avec la volonté de mettre au point un véhicule qui dispose de la même avance technique sur la concurrence. L’enjeu était d’être à l’avant-garde technique… mais pas seulement. Quai de Javel, on entendait développer pour chaque modèle « un désir de création analogue à celui qui préside à la naissance d’une œuvre d’art », comme l’écrira dans son autobiographie Pierre Bercot, directeur général de Citroën en 1950 puis PDG de 1958 à 1970.
Les deux têtes pensantes du projet « VGD » (pour « véhicule de grande diffusion ») se connaissent bien. André Lefebvre (1894-1964), qui dirige le bureau d’études, et l’Italien Flaminio Bertoni (1903-1964), qui inspire le style Citroën (on ne dit pas encore design), ont œuvré ensemble sur la Traction (1934) et la 2CV (1948).
Après la guerre, lorsque l’on remet l’ouvrage sur le métier, ils s’attellent au projet D, ex-projet VGD, avec des idées assez claires. Lefebvre, qui a engagé sa carrière dans l’aéronautique, reprend une proposition de stabilisation hydraulique un temps envisagée pour réduire les ondulations de la 2CV sur ses roues. Les résultats de cette solution oléopneumatique sont bons mais Lefebvre pousse son idée plus avant. Non seulement toute la suspension sera asservie à un circuit d’huile sous haute pression mais celui-ci sera mis à contribution pour assurer également le freinage, le passage des vitesses et la direction.
De son côté, Flaminio Bertoni (1903-1964) dessine les voitures comme le sculpteur qu’il redevient lorsqu’il rentre chez lui. Là ou les stylistes utilisent le bois pour leurs ébauches, lui recourt très tôt à la claie. On est frappé par la continuité qui existe entre les premières esquisses et la version finale de la DS. La partie avant est résolument plongeante et la recherche d’aérodynamique ouvertement privilégiée (le Cx, coefficient de pénétration dans l’air, de la DS sera de 0,30 alors que la norme des modèles de l’époque est de 0,50). Pour loger un moteur sous le capot avant très plongeant, on pensera un temps à un moteur à cylindres à plat, comme celui de la 2CV. Finalement, la mécanique de la Traction sera reprise – quelle déception… - mais en position reculée, quitte à transformer l’habitacle en fournaise.
L’inspiration aéronautique des formes oblongues, des flancs lisses, de la calandre pincée et de la partie arrière fuyante convient parfaitement à Lefebvre, ancien de Sup-Aéro qui avait commencé sa carrière chez l’avionneur Voisin. On prête même aux deux hommes d’avoir suggéré de remplacer le volant par une sorte de levier directionnel, sorte de préfiguration du joystick. Une tentative recalée par la direction de l’entreprise mais qui, finalement, aurait inspiré l’étonnant volant mono branche de la DS. Une voiture pilotée grâce à un manche à balai, à la manière d’un avion ? Pour ce modèle tellement hors-norme que, lors de son apparition, nombre d’observateurs le comparèrent à une soucoupe volante, cela n’aurait pas tellement choqué, au fond.

Le Monde - France


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