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14.11.12

Portugal: La grève générale ne suffit pas

Manifestation au Portugal contre l'austérité le 4 octobre 2012.

Les jours sans pétition sont rares. Tout comme les semaines sans manifestation. Tout cela pour des causes justes, urgentes et nécessaires, pour défendre des droits, la liberté, la dignité, l'avenir. Les pétitions ne coûtent rien, il suffit de signer. Pour une manifestation, c'est plus compliqué, il faut s'organiser le jour J, savoir où c'est, par où elle passe, quels transports emprunter, etc.
Aujourd'hui, tous les jours sont des jours de lutte, mais cette lutte atomisée en manifestations, pétitions, débats, réunions, articles, photos, notes de blog et commentaires sur les réseaux sociaux n'a pas un sens défini. Nombre de ceux qui contestent l'austérité quand elle touche leur portefeuille sont d'accord pour dire que nous dépensons au-delà de nos possibilités et qu'il faut payer. Si l'on continue la discussion, ils vont même jusqu'à défendre l'idée que l'Etat coupe dans les dépenses sociales des autres.
La plus grande victoire du néolibéralisme, c'est cela : les attaques que les pauvres se font les uns aux autres. La plus grande attaque contre l'Etat social, c'est ce que l'on entend dire dans les discussions des citoyens lambda, qui critiquent ceux qui bénéficient de l'aide de l'Etat parce que cela oblige le gouvernement à augmenter les impôts. Qui critiquent les grévistes des transports parce qu'ils pénalisent ceux qui veulent aller travailler et ne le peuvent pas. Qui critiquent la classe moyenne qui se rend dans les hôpitaux publics et dépense donc des ressources de l'Etat alors qu'elle a les moyens d'aller dans les cliniques privées.
Une indignation qui se trompe de cible
L'une des choses les plus tristes de cette crise, c'est d'être bombardé de courriels qui dénoncent les prétendus privilèges et les gros salaires. Dans certains cas, plutôt rares, l'indignation est légitime. Il existe des dépenses excessives, somptuaires, là où devrait préavoir la frugalité dans l'utilisation des deniers publics. Mais, dans de nombreux cas, l'indignation non seulement est un non-sens, mais encore elle est orientée pour dévier l'attention des privilièges dont profite le capital.
Pendant que quelques centaines de naïfs s'indignent des salaires de certaines stars de la télé, ils ne disent rien des intérêts facturés au Portugal au titre de l'"aide extérieure", du scandale BPN [banque privée portugaise au bord de la faillite, nationalisée en 2008, puis renflouée à hauteur de 5,1 milliards d'euros par l'Etat, avant d'être cédée cet été pour 40 millions à une banque angolaise] et des partenariats public-privé [censés alléger la dette publique, ces partenariats provoquent au contraire une détérioration des comptes publics], ainsi que des avantages scandaleusement accordés aux banques, des exemptions fiscales des grandes entreprises, de l'évasion fiscale légale de ces mêmes entreprises qui délocalisent leur siège social, de l'envoi d'argent dans les paradis fiscaux ou encore de l'absence d'impôt sur les revenus du capital.
La responsabilité des médias
La plus grande victoire du néolibéralisme, c'est cela, c'est ce discours, une victoire obtenue à coups de propagande répétée sans relâche, avec la complicité (souvent involontaire) des médias. C'est pour cette raison que l'on continue à entendre Vítor Gaspar [le ministre des Finances] dans les journaux télévisés, répétant ses idées fantaisistes. Un jour, lui ou une autre marionnette du gouvernement viendra nous dire que la Terre est plate, et les médias, donnant des gages d'équilibre et de neutralité, diront : "Ce n'est pas, néanmoins, l'avis du géographe Untel, qui soutient, de son côté, que..."
La responsabilité des médias dans la diffusion de ce discours est centrale. C'est pour cela que nous voyons, à travers des mouvements civiques comme le Manifeste contre la Privatisation de la RTP [la Radio et télévision du Portugal est l'entreprise chargée de l'audiovisuel public] ou l'Initiative pour un audit citoyen de la dette publique, la nécessité de produire et de mettre à disposition une information que les médias devraient produire, filtrer, valider et diffuser, mais qu'ils ne produisent pas, ne filtrent pas, ne valident pas et ne diffusent pas. Les mouvements sociaux sont en train de tenter de faire un travail qui devrait être celui des médias, mais ces derniers ne l'ont pas encore compris, soucieux qu'ils sont de mettre le micro le plus près possible des lèvres de Vítor Gaspar.
COURRIER INTERNATIONAL