Ce 1er mai 2012 restera sans doute dans les annales de l’histoire politique française. Et ce sera un bien mauvais souvenir. Aujourd’hui, la droite française a perdu son âme.
On s’attendait à voir trois France manifester dans Paris. La France de Marine Le Pen, à la fois vaincue et triomphante depuis le premier tour de la présidentielle, la France de gauche, déjà victorieuse, derrière les syndicats et quelques ténors de la gauche, et la France de droite, tentant un ultime baroud d’honneur et acclamant un Sarkozy pratiquement résigné à la défaite.
Certains reprochaient d’ailleurs –à juste titre- au président-sortant, acculé dans les cordes de tous les sondages, d’avoir lancé ce dernier défi en faisant de la provocation, avec l’organisation, improvisée au dernier moment, de cette « vraie » fête du « vrai » travail pour répondre à la traditionnelle fête des travailleurs, annexée depuis toujours par les syndicats et la gauche.
Voulant « cliver », une fois de plus et plus que jamais, non seulement Sarkozy s’en prenait, comme depuis quelque temps, aux syndicats (ce qui était son droit et bien maladroit) mais, ce coup-ci, il opposait officiellement les travailleurs (du privé) aux fonctionnaires, les salariés aux chômeurs. Or, même pour grappiller quelques voix égarées, le rôle d’un président -sortant ou futur- n’est pas de diviser les Français, favorisés contre défavorisés, riches contre pauvres, ceux qui bénéficient d’un statut particulier contre les autres, ceux qu’on dit « assistés » contre les autres. Un chef de l’Etat -sortant ou à venir- se doit, avant tout, d’être le président de « tous les Français » comme l’affirme la formule consacrée, d’être un rassembleur.
Il est vraisemblable que cette dernière initiative de Sarkozy va laisser des traces. Il y aura maintenant « ceux du Trocadéro » et « ceux de la Bastille ». Certes, il y avait, déjà et de tous temps, la droite et la gauche mais personne jusqu’à présent n’avait eu l’idée absurde de les faire descendre dans la rue, le même jour, à la même heure.
Mais il y a eu bien pire. Au Trocadéro, ce ne fut pas la « vraie » fête du « vrai » travail, ce fut la naissance officielle d’une « vraie » droite « vraiment » à droite et qui n’avait plus rien à voir avec celle de de Gaulle, de Pompidou, de Giscard ou de Chirac. Une droite qui, pour tenter de survivre, se ralliait, toute honte bue, à l’extrême-droite.
Depuis son funeste discours de Grenoble, on avait compris que Sarkozy était prêt à tout, y compris au pire, pour récupérer les voix de l’extrême-droite qui lui avaient été si précieuses en 2007 mais on ne pensait tout de même pas qu’il aurait l’impudeur (et la maladresse) d’aller aussi loin dans la soumission à toutes les thèses de l’extrême-droite, sur l’immigration, sur la sécurité, sur le nationalisme, sur l’assistanat, sur tout. Par moments, il y eut quelques grands airs où « le ténor du Trocadéro » surpassa « la diva de l’Opéra ».
On imagine que les Juppé, Raffarin, Borloo et autres Fillon eurent un haut le coeur en entendant leur candidat. Non seulement, il se suicidait pour dimanche prochain, en perdant ainsi toutes les voix de Bayrou et en poussant à l’abstention les ultimes gaullistes, les derniers chiraquiens, les radicaux et les démocrates-chrétiens, non seulement il n’allait pas récupérer les voix de Marine Le Pen qui, deux heures plus tôt, venait d’annoncer qu’elle voterait blanc, mais il faisait éclater la droite avant même le soir de la défaite. Fillon a été le premier à laisser entendre qu’il n’était pas très malin de s’attaquer aux syndicats.
Sarkozy n’avait pas encore terminé son discours qu’on apprenait que Gérard Longuet, ministre de la Défense et numéro 3 du gouvernement, venait d’accorder une interview au journal Minute dans laquelle il affirmait que le Front National de Marine Le Pen devait désormais être considéré comme « un interlocuteur ». La messe était dite.
A cinq jours de la défaite de Sarkozy, les cartes étaient déjà redistribuées, l’UMP éclatée, l’extrême-droite renforcée, la droite écartelée, déboussolée, orpheline.
THIERRY DESJARDINS