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23.10.12

L'Italie, le seul pays où les séismes sont prévisibles


Une condamnation absolument incompréhensible du point de vue scientifique et profondément antiéducative. Une sentence par laquelle l'Italie s'aligne sur les autres pays du globe, où les scientifiques sont mis sur l’échafaud par les tribunaux théocratiques et où les tremblements de terre sont considérés comme une punition divine.

Nous sommes à un moment charnière, lourd de conséquences potentiellement dévastatrices. A partir de ce jour, tenez-vous bien, en Italie – et seulement en Italie puisqu’une telle décision ne serait même pas imaginable dans un autre pays civilisé – au moindre essaim sismique persistant (et on en compte plusieurs chaque année), les chercheurs seront tenus d’alerter la Protection civile [service de l’Etat chargé des situations d’urgence et de l’assistance aux populations] pour procéder à l’évacuation de provinces et de régions entières.

Dans le cas particulier de L’Aquila, aucune prévision n’avait pu être faite ; seule la ville de Sulmona suscitait une légère crainte – mais elle n’a pas été touchée par le séisme [le séisme de L'Aquila survenu le 6 avril 2009 a provoqué de nombreuses destructions et fait 308 morts]. La raison est simple : nous ne sommes pas encore en mesure de prévoir les tremblements de terre, malgré tous les efforts déployés par les chercheurs. Et les alertes ou les évacuations peuvent avoir lieu, de manière justifiée, uniquement dans le cas où des phénomènes flagrants sont identifiés.

Un séisme dans un pays moderne ne devrait pas faire tomber un cornichon


Nous parlons là de secousses continues sur plusieurs jours, d’émissions de gaz souterraines, de gonflements ou de glissements de terrain, d’éboulements, de sources d’eau qui s’agitent ou de puits qui s’assèchent. Ces indices n’étaient pas visibles dans les Abruzzes en mars 2009. Que pouvait-on faire ? Evacuer toute la région ? Et combien de fois par an devrions-nous le faire le long de la dorsale de la chaîne de montagne des Apennins ? Et si vous permettez, qui est ce consultant technique commis d’office au tribunal (l’expert indépendant), étant donné que les plus grands spécialistes italiens en sismologie étaient à la barre ?

Ce jugement nous dit que si : les tremblements de terre en Italie sont bien prévisibles. Et nous aurions plutôt intérêt à faire évacuer des régions entières, même pour des alertes minimes. Et le jour où ces têtes de mules de scientifiques ne seront plus disponibles, on pourra toujours faire appel à des gourous et autres devins, puisqu'ils abondent dans notre pays. Cette décision nous apprend également que les juges italiens n’ont même pas une vague idée de ce que représente un tremblement de terre du point de vue géologique ; qu’il ne s’agit pour eux que d’un phénomène aussi prévisible que la météo du lendemain.

Elle nous révèle qu’il est inutile de faire de la prévention, de mieux construire ou de renforcer les édifices existants : il ne leur viendrait pas à l’esprit qu’un séisme de 6,3 sur l’échelle de Richter dans un pays moderne ne devrait même pas faire tomber un cornichon, et que c’est tout au long de l’année que nous devons agir pour éviter les drames, et pas au moment des secousses sismiques, puisqu'alors il est déjà trop tard. Elle nous dit enfin que dès demain, le territoire italien, qui est exposé à 50 % au risque sismique (et même à 100 % dans certaines régions comme la Calabre), devra être immédiatement militarisé puisque la population doit pouvoir être évacuée chaque fois que se présentent des conditions similaires à celles de L’Aquila. Et qu’aucun expert ne prendra plus jamais la responsabilité d’analyser objectivement les informations : ils seront de toute manière obligés de donner l’alerte, ne serait-ce que pour rester loin de la prison.
COURRIER INTERNATIONAL