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22.2.13

Recyclage • Et la neige jaillit des égouts


Il arrive parfois qu’une bonne idée mal appliquée finisse par sembler très mauvaise. L’Arizona Snowbowl, première station de ski à produire sa neige artificielle à partir d’eaux usées recyclées, en fournit un exemple. Ses exploitants s’apprêtent ainsi à récupérer quotidiennement près de 5 600 mètres cubes d’eaux usées auprès d’une “source” [le système de retraitement de la ville de Flagstaff] située dans la vallée, à 25 kilomètres. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui estiment que cette station n’aurait jamais dû voir le jour. Perchée à 2 700 mètres d’altitude au sommet d’un volcan éteint dans les majestueux Pics de San Francisco, elle connaît des problèmes d’approvisionnement en eau depuis sa création, il y a soixante-quinze ans. Certaines années, il n’y a pas assez de neige pour dégager des bénéfices. “L’idée même d’utiliser les ressources d’eau pour faire du ski en Arizona est stupide, estime Taylor McKinnon, responsable du Center for Biological Diversity [ONG américaine pour la protection des espèces menacées]. Alors la pomper sur 25 kilomètres de pente en utilisant de l’électricité issue de centrales à charbon qui ne font qu’aggraver le réchauffement climatique, c’est complètement irresponsable.”

Les nombreux opposants à la station exploitent à présent le potentiel répulsif de cette “neige pipi caca”, ainsi que le formule un blogueur. Pourtant, l’eau que con­voite la station est déjà largement utilisée dans la région de Flagstaff pour arroser les espaces verts, les terrains de foot, les cours d’école et les pelouses. Et ce n’est pas nouveau : l’Arizona a construit sa première usine de traitement des eaux usées en 1926, et a rapidement été imité par plusieurs Etats du Sud-Ouest.

Presque potable

Mais cette eau est-elle propre ? Une analyse des eaux recyclées de Flagstaff datant de 2006 fait apparaître des traces de perturbateurs endocriniens et une étude de 2012 a révélé la présence de gènes résistants aux antibiotiques. Ces polluants sont toutefois présents dans les systèmes d’eau courante de tous les Etats-Unis. Prenez maintenant les eaux usées traitées qui ne sont pas réutilisées : elles sont rejetées dans les rivières locales et donc réintroduites dans le système de distribution d’eau. “En réalité, presque tout le monde boit de l’eau recyclée, résume Snyder. Les gens utilisent de l’eau qui comporte une grosse part de déchets.”

Les techniques de traitement des eaux sont de plus en plus performantes. Les habitants du comté d’Orange, dans le sud de la Cali­fornie, et d’autres localités disposent d’installations flambant neuves capables de transformer les eaux usées en eau potable grâce au procédé d’osmose inverse [un système de filtrage qui ne laisse passer que les molécules d’eau]. Il faudra encore patienter un peu avant que cette technique coûteuse se généralise, mais il est déjà possible de faire presque aussi bien pour beaucoup moins cher. L’eau d’arrosage de Flagstaff n’est pas loin d’être potable.

En dépit de mes réserves initiales concernant cette “neige pipi caca”, il me semble à présent qu’il serait encore plus révoltant de ne pas utiliser ces eaux recyclées. Cela étant dit, je ne suis pas sûre non plus qu’il faille s’en servir pour arroser une station de ski en milieu désertique. “S’il n’y avait pas tous ces opposants, on nous décernerait un prix pour l’utilisation que nous faisons de cette eau, affirme J. R. Murray, responsable de la station. C’est [semble-t-il] une mauvaise idée dans le cas de cette station, mais sinon c’est une très bonne idée.” Je n’aurais pas dit mieux.
COURRIER INTERNATIONAL