Dans la soirée du 1er juillet, les habitants
de Vradiyvka, un district de la ville de Mykolaïv [ville portuaire du sud de
l'Ukraine], ont attaqué le commissariat local. Pendant l'assaut, une femme et un
enfant ont été frappés et un manifestant aurait été blessé par des tirs au bras
et à la jambe. La foule exige que les policiers cessent de protéger un de leurs
collègues, soupçonné d'avoir pris part au viol d'une jeune femme de 29 ans,
Iryna Krachkov.
Plus de 1 000 personnes étaient venues soutenir Iryna, victime d'un viol
commis par trois hommes, dont deux policiers du district. Les habitants de
Vradiyvka sont alors entrés en guerre contre les représentants des forces de
l'ordre, ils ont abattu le portail du commissariat, bombardé les vitres à coups
de cailloux, d'œufs et de cocktails Molotov. Furieuse, la foule s'est ensuite
ruée à l'assaut. Les policiers assiégés ont riposté à l'aide de gaz lacrymogènes
et de bombes fumigènes, mais les manifestants ont réussi à s'emparer d'une
partie du bâtiment.
"Nous avons quitté notre travail, nos enfants, et nous sommes venus ici
réclamer justice", déclare Oleg V., l’un des manifestants. "Les habitants de
Vradiyvka détestent tellement la police : ils se prennent pour des potentats
locaux, et nous ne pouvons rien y faire. Demain, à la place d'Iryna, ce seront
peut-être nos enfants qui seront blessés !"
La police n'a pas répondu aux cris de la foule en colère, qui exige
l'arrestation immédiate du capitaine Yevhen Dryjak, soupçonné de viol en réunion
et de coups et blessures. Vers 2 heures du matin, un bus est arrivé de Mykolaïv
avec à son bord des hommes des unités antiémeute "Berkout", et les manifestants
ont fini par se disperser.
"La brutalité des policiers du coin est bien connue"
Au lendemain des incidents, trois hauts responsables ont été limogés à
Mykolaïv, dont le procureur du district, le responsable du ministère de
l'Intérieur pour la région et le chef de la police de Vradiyvka. "La brutalité
des policiers du coin est bien connue, écrit le blogueur Dmitro Reznitchenko.
Ils sont vraiment haïs par la plupart des gens. Il y a deux ans, à Vradiyvka,
Alina Porkoul, une jeune fille de 15 ans, a été violée et assassinée.
Aujourd'hui, beaucoup pensent que les agresseurs d'Iryna Krachkov et les
meurtriers d'Alina sont les mêmes. Au cours de l'enquête menée sur ce crime,
quatorze personnes, des civils, ont été arrêtées et accusées de meurtre. Onze
ont avoué, sous la torture, et trois autres ont été tuées. Et l'une d'elles
s'est suicidée, non sans avoir laissé une lettre qui clamait son innocence."
La tragédie de Vradiyvka a eu lieu il y a quelques jours, alors
qu'Iryna Krachkov rentrait chez elle après être allée en boîte de nuit. Ses
trois agresseurs, qui comptaient deux agents de police, l'ont forcée à monter
dans leur voiture et l'ont emmenée dans un bois voisin, où ils l'ont passée à
tabac et violée. La jeune femme se trouve actuellement au département de
neurochirurgie des urgences d'un hôpital de Mykolaïv, où elle devrait subir
bientôt une intervention.
La police nie catégoriquement toute implication de ses hommes dans le drame,
mais les preuves s'accumulent contre eux : des prélèvements effectuées sur la
victime à l'hôpital, ainsi que des témoignages oculaires – des employés de la
discothèque, d'un garage et de l'épicerie où travaillait Iryna. A en croire les
autorités de la région de Mykolaïv, une enquête a été ouverte pour trois chefs
d'inculpation : viol, coups et blessures volontaires et vol. L'affaire aurait
été confiée à des policiers de la capitale et à des membres de l'Inspection
générale des services.
En attendant, le 2 juillet, les gens se sont de nouveau rassemblés
spontanément à Vradiyvka, et la situation menace d'échapper à tout contrôle.
Environ 500 personnes se sont regroupées devant le commissariat. Le chef de la
police locale, Vladimir Berezan, et le gouverneur de la région, Nikolaï
Krouglov, ont alors promis que les coupables seraient punis, mais leur discours
a été accueilli par des cris et des sifflets. La situation est extrêmement
tendue et pourrait rapidement dégénérer. Dans les rues de Vradiyvka, des
"Berkouts" rôdent, portant casques et gilets pare-balles, armés jusqu'aux dents.
Des patrouilles de police contrôlent tous les accès à la ville.
L'opposition proteste à Kiev
A Kiev, Arseniy Yatseniouk, chef de file de l'opposition à la Rada [le
Parlement], est intervenu à la tribune, déclarant que la région de Mykolaïv
était l’une des plus affectées par la criminalité de tout le pays. "Le
gouverneur Krouglov couvre les bandits, le chef de la police aussi, et les
procureurs comme le SBOu [les services secrets] font de toute façon partie des
bandits en question. Nous appelons le ministre [de l'Intérieur] Vitaly
Zakhartchenko à venir témoigner devant le Parlement ! Nous exigeons un
rapport."
Montant à son tour à la tribune, Zakhartchenko a reconnu que les événements
de Vradiyvka avaient "porté un coup terrible à l'ensemble du système judiciaire,
et en particulier à la police". Avant d'ajouter : "Mais certaines formes de
contestation sont inacceptables, car il faut comprendre qu'un commissariat est
également une zone carcérale, que des armes y sont stockées et des détenus
enfermés."
COURRIER INTERNATIONAL