La favela "Mandela shantytown" à Rio de Janeiro, renommée
ainsi pour commémorer la mise en liberté de Nelson Mandela en 1990. - YASUYOSHI CHIBA / AFP |
Le Brésil a une dette toute particulière
envers Nelson Mandela, car il n'est pas possible de comprendre ce pays sans
l'apport de l'Afrique, avec les millions d'esclaves arrivés sur son sol.
Aujourd'hui, la moitié des Brésiliens sont noirs ou métis, ils ont dans leurs
veines le sang des anciens esclaves africains.
C'est pourquoi tant de Brésiliens considèrent Mandela comme un frère. Madiba
a enseigné au monde qu'on pouvait résoudre les problèmes du racisme par le
pardon et non par la guerre, par le dialogue et non par la discrimination, sans
nouvelle effusion de sang provoquée par les haines ancestrales.
Le Brésil serait un autre pays sans l'arrivée sur son sol de millions
d'esclaves qui ont fini par se métisser avec le peuple créole. La vie des
esclaves noirs n'était pas facile dans ce pays qui a été le dernier à abolir
l'esclavage (en 1888). C'est une histoire ambivalente, une histoire tragique,
mais en même temps d'une grande richesse. Cette terre en est teintée d'une
culture africaine qui n'appartient qu'à elle.
Les sociologues assurent que l'esclavage n'est pas terminé ; que les esclaves
d'hier, livrés à eux-mêmes sans éducation lorsqu'ils ont reconquis leur liberté,
continuent à être stigmatisés en étant considérés comme des êtres inférieurs. Et
il est vrai qu'au Brésil la coexistence des Blancs et des Noirs n'est pas simple
: ces derniers continuent d'occuper les échelons les plus bas tant dans le monde
du travail que dans l'échelle sociale.
Le leader africain du dialogue et de la rencontre
Mandela s'est battu pour abolir les différences, pour que les concitoyens
vivent et travaillent ensemble au lieu de se faire la guerre, et l'esprit de
cette lutte a gagné le Brésil. Surtout ces dernières années, des politiques de
grande envergure en faveur des Noirs ont été lancées par l'ancien président Lula
da Silva, puis poursuivies par la présidente actuelle Dilma Rousseff. Que ce
soit à travers des quotas réservés aux Noirs ou en introduisant dans
l'enseignement l'étude obligatoire de l'histoire de l'Afrique, ces mesures
doivent permettre à la société de prendre conscience de la dette du pays envers
l'Afrique noire.
En ce moment même, justement, la société brésilienne applaudit partout où
passe Joaquim Barbosa, ce magistrat noir, aujourd'hui président de la Cour
suprême, qui par son attitude lors du scandale de corruption du Mensalão [achat
de votes parlementaires en 2005] a su redonner l'espoir en une justice moins
élitiste, plus égalitaire.
Il y a quelques années, il aurait non seulement paru impossible qu'un Noir
préside la Cour suprême du Brésil, mais aussi qu'il obtienne la faveur et la
sympathie de la plus grande partie de la population.
Quant à la figure de Nelson Mandela, cet ancien guérillero qui a su faire de
sa vie un combat pour le pacifisme et le pardon entre frères de couleurs
différentes, elle n'est pas étrangère au réveil brésilien vers une plus grande
conscience de la dignité des Noirs.
D'une certaine façon, les Noirs du Brésil reconnaissent comme l'un des leurs
le leader africain, pleuré aujourd'hui par tous ceux qui misent sur le dialogue
et la rencontre, et non par ceux qui voudraient attiser les vieilles haines d'un
racisme si difficile à éradiquer.
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