Tous les corps de la police et de la gendarmerie portugaises
ont manifesté le 21 novembre dernier à Lisbonne contre les mesures d’austérité
qui s’appliquent également à la profession (la
gendarmerie perdra, par exemple, 15 % de son budget en 2014). Si ce n’est
pas la première manifestation du genre au Portugal, celle-ci a remporté une
franche adhésion (plus de 10 000 manifestants) et s’est terminée dans un
face-à-face tendu et inédit entre policiers en civils et policiers en uniforme.
En effet, les
manifestants, parfois cagoulés, ont renversé les barrières de protection, forcé
le barrage des forces de maintien de l’ordre et mimé une intrusion dans le
Parlement. En face, la "Polícia de choque" (équivalent des CRS français) a
peu ou prou repoussé les assaillants, ne s'interposant qu'au dernier moment,
avant les portes de "São Bento" (surnom du Parlement portugais).
Le ministre de l’Intérieur Miguel Macedo, cité
par Público, a jugé l’événement "absolument inacceptable. D’abord
parce que les règles de sécurité doivent être respectées. Ensuite parce que ceux
qui ont pour mission de les faire respecter ne peuvent donner l’exemple de les
violer". Paulo Valente Guedes, directeur national de la police, a présenté sa
démission le lendemain, "suite
aux évènements qui se sont produits devant le Parlement".
Le Premier ministre Pedro Passos Coelho, cité
par Ipsilon, a déclaré que "le non-respect des règles dans la
manifestation de la police n’aurait jamais dû avoir lieu" et que "cela n’est pas
un bon indicateur de l’autorité des forces de sécurité". Le Président António
Cavaco Silva a, quant à lui, lancé un appel au calme en rappelant son plus grand
respect pour les forces de l’ordre : "Maintenez
la sérénité en ces temps difficiles pour le Portugal, alors que nous dépendons
tellement, tellement des créanciers qui nous observent chaque jour".
La démocratie en jeu
Si l'affaire fait grand bruit au Portugal, les points de vue
sur la portée de cette manifestation divergent. Cité par Nuno
Ribeiro de Público, l’analyste politique Carlos Jelali estime que
"ce qui s’est passé devant le Parlement a une valeur symbolique" et "que les
limites des manifestations peuvent finalement être dépassées". Pour Boaventura
Sousa Santos, intellectuel classé à gauche, "ce qui est en cause, c’est le
cerveau de l’Etat. Il n’est pas possible de maintenir le droit et l’ordre si on
humilie les forces de sécurité".
Dans le même sens, Daniel Oliveira pose
la question dans sa chronique publiée dans le journal Expresso :
"Comment les forces de l’ordre peuvent -elles imposer aux autres des limites
qu’elles-mêmes dépassent ?". Pour lui, le comportement de jeudi dernier "n’est
pas le problème mais le symptôme du climat de dégradation institutionnelle et
démocratique que le gouvernement a provoqué".
L’éditorial de
Público du 22 novembre y décèle une tendance antidémocratique :
"Le message qui reste, non pour le gouvernement mais pour le peuple, est
dangereux : en uniforme, les lois pèsent moins". Plus rassurante, et rappelant
l'issue finalement pacifique de la manifestation, la présidente du Parlement,
Maria de Assunção Esteves, a
déclaré à ce même magazine que "le Parlement est fier d'être la maison et la
porte à laquelle tous viennent frapper".
Alors que le gouvernement n'écarte pas des procédures
disciplinaires pour punir les agents ayant désobéi aux consignes lors de la
manifestation, Paulo Rodrigues, leader du principal syndicat de policier
(Sindicados e Associações dos Profissionais das Forças e Serviços de
Segurança) appelle
à continuer la lutte et n'écarte pas l'idée d'une grève des amendes, pourtant
illégale au Portugal.
COURRIER INTERNATIONAL