Le Big Bang est-il le début de l'Univers ?
La découverte du mouvement des galaxies, leur éloignement progressif au cours
du temps nous permet d'affirmer que l'univers a une histoire. Un univers où rien
n'aurait jamais changé depuis l'éternité, et qui durerait toujours comme
l'affirmait Aristote, serait un univers sans histoire.
Nous allons comparer la tâche des astrophysiciens à celle des préhistoriens
qui essaient de reconstituer le passé de l'humanité. Comment vivaient nos
ancêtres ? Où habitaient-ils et comment arrivaient-ils à se nourrir, à se
réchauffer ?
Ces chercheurs vont sur les lieux où il y a des traces d'habitations
anciennes. Ils recueillent des cendres de brasiers, des outils primitifs en
silex taillé, des bois de renne sculptés, tout ce qui permet de reconstituer,
avec un peu d'imagination, le mode de vie de nos lointains aïeuls. Ainsi
arrivent-ils à reconstruire d'une façon assez convaincante bien des chapitres de
l'aventure humaine. Mais plus on recule dans le temps, plus les informations
sont fragmentaires et imprécises. On découvre sans cesse de nouveaux sites
habités, quelques crânes plus ou moins bien conservés. Mais il y a encore
beaucoup de questions sans réponses …
L'important quand on veut décrire un chapitre du passé, c'est d'avoir des
fossiles provenant de la période correspondante, sinon on ne peut rien dire de
crédible. Cela est vrai aussi bien pour la préhistoire humaine que pour
l'astronomie.
Dans ce dernier cas, ce sera par exemple des rayonnements émis à certaines
périodes de la vie de l'univers ou encore des variétés d'atomes engendrés dans
certains événements cosmiques. Ils ont laissé des traces qu'on peut encore
identifier aujourd'hui.
Comme les fossiles des préhistoriens, ces vestiges du passé vont jouer un
rôle de « preuves à l'appui » pour la crédibilité de l'histoire cosmique que
nous essayons de décrypter.
On pourrait dire que l'univers se comporte comme un immense gaz dont les
galaxies seraient les particules. Les observations d'Edwin Hubble nous
montrent que ce gaz est en expansion. Albert Einstein, par ses travaux
théoriques, en conclut qu'il se refroidit.
Cela veut dire que dans le passé, l'univers était plus brillant. Plus on
recule dans le temps, plus la matière du cosmos était chaude et lumineuse. Si on
remonte suffisamment loin, dit Georges Gamow, on doit arriver à un moment
où la quantité de lumière est prodigieuse, un « flash » éblouissant. Au plus
loin que l'on pourrait être, tout l'univers serait lumière.
Cette lumière a-t-elle complètement disparu du cosmos pendant le
refroidissement ? Ou en reste-t-il une trace que nous pourrions observer
aujourd'hui ? Une sorte de fossile de ces moments glorieux. Si on arrive à
détecter ce vestige, on aurait une preuve du Big Bang. Ce rayonnement, on
l'a découvert en 1965, près de 20 ans après la prédiction de Gamow, et
exactement comme il l'avait décrit.
Il y a d'autres fossiles. Exemple : les cendres du Big Bang sont
encore parmi nous. Ce sont les atomes d'hydrogène et d'hélium. Ils nous ramènent
à une période où l'univers est âgé d'une minute. Sa température est alors d'un
milliard de degrés. Comme dans le Soleil aujourd'hui, des réactions nucléaires
ont lieu dans tout l'espace cosmique. Elles transforment l'hydrogène en hélium.
On retrouve aujourd'hui ces atomes dans les étoiles et les nébuleuses. Leur
population respective est bien celles que prévoit la théorie.
L'âge de l'univers, c'est simplement le moment avant lequel nous n'avons,
pour le moment, aucun fossile.
Cela ne veut pas dire qu'il ne se passait rien avant ces 13,7 milliards
d'années, mais seulement que nous n'en savons rien. La distinction est
importante. On peut dire que le Big Bang marque non pas un début mais un
horizon au-delà duquel tout est encore inconnu, inexploré. Cet horizon est celui
qu'imposent les limites de nos observations et de nos théories de la
physique.
Plusieurs chercheurs ont proposé des scénarios de l'avant Big Bang.
Mais ils n'ont apporté aucune justification, aucune preuve. Cela reste de la
pure spéculation. Peut-être que, plus tard, de nouvelles observations viendront
nous permettre de remonter plus avant dans le passé.
Quelle crédibilité pouvons-nous accorder à l'affirmation :
« L'Univers est né en un point ? »<
Une première distinction s'impose : la différence entre l'Univers observable
(l'ensemble des galaxies détectables aujourd'hui qui s'étend sur une
cinquantaine de milliards d'années-lumière) et l'Univers global (tout l'Univers,
fini ou infini, nous ne savons pas). C'est évidemment du second dont nous allons
parler ici.
Question : comment pouvons-nous nous interroger sur ce que nous
ne pouvons pas observer ?
Voici la démarche classique : partant des observations on construit une
théorie (ici le Big Bang) qui, en principe, décrit l'Univers global. Et
on questionne ensuite cette théorie sur les propriétés globales, observables ou
non, de l'Univers.
La crédibilité des réponses, bien sûr, a les mêmes limites que la théorie.
Ici se trouvent les difficultés. Premier point faible : La Théorie du Big
Bang est fondée sur la Théorie de la Gravitation d'Einstein. Elle
ignore les aspects de la réalité qui ont été mis en évidence par la physique
quantique. En particulier, les propos sur la concentration, dans le passé, de la
matière en un point unique sont incompatibles avec les relations
d'indétermination de Heisenberg.
Un second point touche à la géométrie de l'Univers. Einstein nous a
appris les relations qui existent entre la courbure de l'espace cosmique (à
trois dimensions) et la densité de masse-énergie dans l'Univers.
Si cette densité (évaluée avec les unités appropriées) est supérieure à un,
la géométrie de l'espace est sphérique et l'Univers a une dimension finie.
L'expansion de l'Univers implique que son volume était plus petit dans le passé.
En ce cas, il y a régression de l'Univers global.
Si la densité est exactement égale à l'unité, l'espace a une courbure nulle
(espace plat) et l'Univers est en principe infini (sauf si on tient compte de
certaines hypothèses supplémentaires relevant de la topologie, voir plus bas).
Si on recule dans le temps, la densité et la température augmentent partout à la
fois dans un espace toujours infini. On ne peut pas passer de l'état infini à
l'état fini. Il n'ya pas de régression dans le passé.
Si la densité est inférieure à l'unité, l'Univers a une courbure négative
(comme un col de montagne) ; l'espace est également infini (sauf encore si on
tient compte de certaines hypothèses supplémentaires relevant de la topologie).
Pas de régression.
Sur le plan des observations, où en sommes nous ?
Les meilleures évaluations donnent une densité égale à l'unité, à 10 % près.
Ce qui signifie que si la courbure n'est pas nulle, elle est très légère. Mais
nous ne pouvons pas déterminer si elle est positive ou négative. Et en
conséquence nous ne pouvons pas dire si l'Univers est infini ou non.
À cela s'ajoute une autre difficulté : notre ignorance d'une autre propriété
globale du cosmos : sa topologie. Sans entrer dans les détails, disons qu'il y
en a plusieurs variétés. Selon la variété, l'Univers pourrait être fini ou
infini. Pour l'instant, nous ne connaissons pas la variété qui correspond à
l'espace cosmique. Il est ici intéressant de mentionner les travaux de J-P
Luminet sur un modèle de topologie dodécaédrique qui est en voie de
confrontation avec la réalité par le satellite Planck en orbite depuis un
an (voir « L'Univers chiffonné » de J-P Luminet).
En résumé, l'affirmation d'une régression de l'espace cosmique dans le passé
repose sur plusieurs hypothèses invérifiées. Sa crédibilité est limitée par
l'absence de considérations quantiques de la théorie sous-jacente et par les
incertitudes sur la densité de la masse-énergie et sur la topologie du cosmos.
Elle est à prendre avec un (gros …) grain de sel.
HUBERT REEVES - 2011