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Les Portugais achètent du Porto non pas pour le boire, mais pour l'offrir -
cnmarcos/FlickR/CC |
Si l'on consulte les statistiques, les consommateurs portugais sont presque des héros sur le marché du porto. Seuls les Français en boivent plus en quantité. Et si cette différence peut facilement se justifier par le facteur démographique, les Portugais ont des arguments pour se vanter d'un autre tour de force : s'ils boivent moins que les Français, ils dégustent plus de porto de catégorie supérieure.
Ce n'est donc pas la lecture de ces chiffres qui conduisent le président de l'Institut des vins du Douro et de Porto, Manuel Cabral, à se lamenter sur le fait que "les Portugais ont une mauvaise relation avec le porto". Une étude de 2007 permet d'expliquer en partie ce paradoxe apparent : la grande majorité des personnes interrogées avaient du porto chez eux, mais ils étaient très peu à l'avoir acheté et encore moins à le boire. "Les Portugais achètent du porto pour l'offrir, et celui qu'ils possèdent à la maison leur a été offert", explique Isabel Marrana, à la tête de l'Association des entreprises de Porto (AEVP). "On ne boit pas du porto à Noël, comme en Angleterre ; on l'achète pour l'offrir", précise-t-elle.
Le mois de novembre est le meilleur mois de vente du porto et, si le volume des ventes de 2011 se maintient, cette année les quantités commercialisées entre septembre et décembre vont représenter environ 43 % du total annuel. Une tendance identique peut être constaté au niveau mondial, mais au Portugal ces chiffres sont encore plus accentués.
Malgré tout, le simple fait que les Portugais achètent beaucoup de porto et qu'ils en boivent peu en proportion maintient le mystère sur les raisons qui font que le marché national est le deuxième plus important au monde en termes de volume d'affaires et le troisième s'agissant des quantités (derrière la France et les Pays-Bas). Le tourisme peut être une explication. Isabel Marrana rappelle que 750 000 touristes passent chaque année dans les caves de Vila Nova de Gaia [ville en banlieue de Porto] et que chacun d'eux dépense en moyenne 10 euros à cette occasion. Le billet d'entrée – entre 3 et 5 euros – dans les caves donne droit soit à une dégustation, soit à une réduction sur l'achat de bouteilles. Ce qui incite de nombreux visiteurs à ne pas repartir les mains vides.
Un réflexe d'amour-propre
On ne connaît pas le pourcentage total des ventes inhérent au tourisme ni la part des visiteurs portugais. Ce que l'on sait, c'est que la majorité écrasante des Portugais ont, de facto, une "mauvaise relation" avec le porto. "Même à Vila Nova de Gaia, les cafés et les restaurants ne savent pas quoi vendre, ni quelles informations apporter, ni quels verres utiliser et, la plupart du temps, ils mettent les bouteilles sur les machines à café", se désole Manuel Cabral.
Mais les entreprises ont le sentiment qu'"une nouvelle attitude est en train de naître chez un peuple, qui commence à voir le porto comme son produit", souligne António Saraiva, un des responsables de l'AEVP. Isabel Marrana affirme de son côté qu'à chaque fois qu'un porto est très bien noté par une revue internationale sa demande augmente, ce qui peut s'expliquer d'une certaine façon par un réflexe d'amour-propre des Portugais.
Même si deux marques, Velhotes commercialisée par Cálem et Ferreira de l'entreprise éponyme, exercent une forte domination sur le marché national, il existe des niches de consommateurs d'une importance non négligeable, notamment à Lisbonne où le porto vintage [porto millésimé qui a vieilli au moins dix ans] se vend bien. En règle générale, les entreprises s'intéressent de près au marché intérieur. Ces vingt dernières années, les ventes au Portugal ont été stables, tant au niveau de la quantité qu'à celui des prix – les plus élevés parmi les cinq principaux pays consommateurs de porto [le Royaume-Uni, la Belgique, la France, le Portugal et les Pays-Bas]. D'autant que "le marché intérieur fait partie de ceux qui ont le plus de potentiel de croissance, malgré la crise", estime Manuel Cabral.
Pour garantir la réussite du développement du marché intérieur, le secteur sait qu'il ne peut pas compter sur les ventes dans les bars – "les verres à pied ne marchent pas la nuit", regrette Isabel Marrana –, mais que ce soit dans les restaurants ou en termes de consommation au foyer, il y a de réels facteurs positifs à prendre en compte. Manuel Cabral note que l'attention que les médias, généralistes ou spécialisés, concèdent au porto est un bon début pour inciter les Portugais à ne plus le considérer comme "un "spiritueux" mais comme un "vin".
COURRIER INTERNATIONAL