Enfin, une ligne rouge vraiment rouge.
En annulant sa rencontre avec le président russe Vladimir
Poutine, Barack Obama a enfin joint le geste à la parole. Après avoir laissé
entendre à de multiples reprises que le refus de la Russie d'extrader Edward
Snowden risquait de provoquer une grave rupture des relations
russo-américaines, le président américain a pris une décision. Le sommet est
annulé.
A vrai dire, j'ai été surpris. Barack Obama a tendance à fixer des limites
qui finissent par s'estomper à mesure que l'échéance approche.
Il a désigné de ligne rouge un éventuel recours de la Syrie à des
armes chimiques contre les insurgés. Cette ligne rouge a été franchie sans que le gouvernement américain ne fasse quoi que ce soit,
si ce n'est fournir aux rebelles quelques armes légères similaires à celles
qu'ils ont déjà à foison. Pendant ce temps, le massacre se poursuit : plus de
100 000 personnes sont mortes et un nombre catastrophique de réfugiés menace de
submerger la Jordanie, le pays voisin.
La politique étrangère de Barack Obama consiste souvent, semble-t-il, à
n'avoir aucune politique. C'est ce qu'on voit dans le cas syrien et il semblait
en être plus ou moins de même avec la Russie de Vladimir Poutine. Ce dernier a
étouffé la démocratie russe pour restaurer l'autoritarisme des tsars puis les
commissaires du peuple. Il est maintenant véritablement dangereux de s'opposer à
Vladimir Poutine, ou plutôt de ne pas s'allier au régime pour réussir en
affaires. Dans ce contexte, le gouvernement de Barack Obama est resté muet.
Pouvoir identifier les intérêts américains
L'affaire Edward Snowden, toutefois, semble taper sur les nerfs du président
américain. Depuis longtemps, il se montre impitoyable avec ceux qui divulguent
des informations confidentielles - des procès sont lancés pour trois fois rien.
S'il ne fait aucun doute qu'Edward Snowden a commis un crime (ce qu'il a pour
ainsi dire admis), il a également accompli un service public. Le débat actuel
sur l'ampleur du programme de surveillance mené par le gouvernement a
précisément été déclenché par Edward Snowden. Avant qu'il ne lance l'alerte, la
plupart des Américains n'avaient aucune idée de l'existence des différentes
méthodes d'écoutes et ils s'en portaient très bien.
J'ai l'impression que le jeune informaticien a certes agi illégalement, mais
qu'il s'est aussi heurté à la tendance d'Obama à vouloir tout contrôler. Le
président est très prudent et les décisions de politique étrangère sont prises à
la Maison-Blanche, pas au département d'Etat. Le
gouvernement a eu l'air à la fois opposé et favorable au coup d'Etat en
Egypte, faute de pouvoir identifier les intérêts américains.
Récemment, lorsque le secrétaire d'Etat, John Kerry, a déclaré que le coup
militaire égyptien avait restauré la démocratie dans ce pays - un triomphe de la
rhétorique orwellienne - il présentait les symptômes du vertige que ressent
celui qui est en quête d'une orientation politique. A mon avis, il ne la
trouvera jamais.
Face à Vladimir Poutine, toutefois, le président est resté ferme. Il
respirait la certitude. Le président a été offensé et il en a fait une affaire
personnelle. Le sommet est annulé.
Pour l'instant, en tout cas
COURRIER INTERNATIONAL.