La question intriguait les scientifiques depuis un bon moment. Comment le moustique "ectotherme"- dont la température corporelle dépend de la température ambiante - pouvait-il se gorger de sang chaud sans succomber ? D'autant que pour limiter les risques de recevoir en pleine figure une main vengeresse, l'insecte se doit d'être capable de prélever un maximum du précieux nectar en un minimum de temps... Deux scientifiques de l'Institut de recherche sur la biologie de l'insecte à l'université François Rabelais de Tours (CNRS) viennent de résoudre cette énigme en observant des moustiques anophèles en action.
Pour suivre en temps réel l'évolution de la température du corps des insectes, Claudio Lazzari et Chloé Lahondère ont utilisé une caméra de thermographie infrarouge. C'est alors qu'ils ont fait une bien étrange découverte : quand un moutisque vous pique, il urine en même temps ! Plus précisément, il excrète par l'anus une gouttelette d'urine mêlée de sang qu'il retient contre lui en maintenant relevée l'extrémité postérieure de son corps. Pourquoi tant d'acrobaties ? Parce qu'en entrant en contact avec l'air, le liquide s'évapore, refroidit et permet du même coup à l'animal d'abaisser la température de son abdomen. Le moustique sacrifie alors un peu du sang gagné au péril de sa vie pour augmenter le volume et la surface d'évaporation de cette vitale goutte de liquide. C'est ce mécanisme baptisé "evaporative cooling", combiné à une synthèse rapide de protéines de choc thermique mise au jour auparavant par une équipe américaine, qui permet à l'insecte de préserver son intégrité physiologique.
À quoi bon, me direz-vous ? "Il s'agit de recherche fondamentale, mais, à terme, cette nouvelle donnée pourrait permettre de développer de nouvelles armes dans la lutte contre les maladies que transmettent les moustiques", explique Claudio Lazzari. Si l'on parvenait à empêcher l'élimination rapide d'urine pendant le repas de l'insecte, non seulement son bilan hydrique serait perturbé, mais aussi sa capacité à limiter les variations de sa température corporelle. "Ce mécanisme peut constituer une cible et donc une nouvelle piste de recherche", estime-t-il. L'équipe a d'ailleurs travaillé à dessein sur des anophèles femelles, vecteurs du paludisme.