"Charlie"
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Portugal : le cri du désespoir
Luis Rodeiro est avocat, parle, outre le portugais, l'espagnol,
le français et l'anglais. À 29 ans, il ne vit que de ses vacations comme avocat
d'office : 700 euros par mois, qu'il gagne en exerçant dans deux villes
différentes, à Lisbonne et Coimbra. Incapable de louer ne serait-ce qu'un
studio, il loge chez des amis dans la capitale et chez sa sœur à Coimbra. Aucun
cabinet n'offrant d'emploi à l'heure qu'il est, Luis se prive de tout, redoute
que le Portugal "ne soit qu'au début de la crise" et se désole d'une "Union
européenne bien plus tournée vers les marchés financiers que vers les peuples
qui la composent."
Des couples choisissent de se séparer
La jeunesse portugaise se désespère. Une statistique suffit
pour comprendre l'ampleur de la crise qui la frappe. En France, la proportion de
moins de 25 ans au chômage atteint 26,5% (contre 7,5% en Allemagne). Elle est de
42,5% au Portugal (source Eurostat 2013). Seules l'Espagne et la Grèce
obtiennent des résultats plus sombres. Appauvris, déprimés, les jeunes adultes
ne font plus guère d'enfants et s'en vont. La population du pays diminue d'année
en année. L'an passé, près de 122.000 personnes ont quitté le pays, des jeunes
en très grande majorité. Rodrigo Riveira compte sur ses doigts : la moitié de
ses amis sont partis pour le Brésil, le Canada, l'Allemagne, la France ou dans
les pays lusophones d'Afrique, l'Angola, le Cap-Vert, le Mozambique.
Le parcours à venir d'Umme Salma, 31 ans, résume cette
incroyable inversion des flux migratoires. Umme est née en Inde, d'où ses
parents sont partis pour le Portugal l'année de ses 2 ans. Diplômée en
anthropologie et en réalisation de films documentaires, la jeune femme
travaillait sur un projet lorsqu'il fut abandonné, suite aux coupes budgétaires
sans précédent dans le domaine culturel. L'État lui doit au moins 3.000 €, une
fortune pour elle. Ne subsistant que grâce à des petits boulots de traductrice
et à des cours de soutien scolaire, Umme envisage de partir vivre en Inde, où un
emploi de rédactrice de sous-titres pour des longs métrages réalisés dans le
monde entier lui est promis.
«Les plus
grandes manifestations depuis la révolution des Œillets de 1974, et ce
gouvernement reste sourd?»
Avant elle, ses parents ont, eux aussi, fui le Portugal. Ils
vivent désormais à Bruxelles. "Pourtant ma ville, c'est Lisbonne, je n'ai pas du
tout envie d'aller vivre à Bangalore, et mon mari encore moins. Mais tout ce que
nous avions est en train d'être démoli par le gouvernement. Le peu de droits
sociaux, l'éducation, la santé… Un an pour obtenir un rendez-vous en gynécologie
dans le service public ! Je gagne entre 300 et 400 € par mois. Les gouvernants
ne sont pas conscients de la réalité de nos vies. Autour de moi, tout le monde
veut partir." Des couples choisissent de se séparer : l'un va gagner sa vie
ailleurs, l'autre reste, comme le font les migrants africains ou de certains
pays d'Asie.
Dépression collective
Tous ces jeunes Portugais ont manifesté ces derniers mois
contre le gouvernement et la Troïka (Banque centrale européenne, FMI et Union
européenne) tant honnie. Jeudi prochain, jour de grève générale, beaucoup
défileront encore. Les appels se multiplient sur les réseaux sociaux et sur les
affiches bleues "Greve geral", frappées d'un poing serré et brandi, qui décorent
les grandes avenues de Lisbonne. Lundi, les enseignants ont observé une nouvelle
journée de grève pour protester contre la suppression de 30.000 postes de
fonctionnaires et l'allongement du temps de travail de 35 à 40 heures sans
compensation.
Arrêté par la police lors d'une précédente manifestation,
Rodrigo Riveira y retournera une dernière fois avant son exil forcé vers le
Brésil, où il vise un emploi au sein d'une ONG. "Je lutte contre la destruction
de l'économie de mon pays, contre la situation des retraités qui touchent 200
€/mois alors que toute leur famille compte sur eux. Les plus grandes
manifestations depuis la révolution des Oeillets de 1974? Et ce gouvernement
reste sourd? Il ne voit pas que tout un pays est frappé de dépression
collective?"
Travailler enfin, Mafalda Jacinto, 23 ans, diplômée en sciences
de la communication et bientôt en marketing, n'attend que ça. De fait, elle
travaille : un stage de six mois non rémunéré, pas un euro pour un temps plein.
Son mémoire de fin d'année est consacré au restaurant de sa mère, une
institution vieille de 100 ans qui souffre aussi de la crise. Mafalda est
entourée d'amis qui ne parlent que de s'enfuir pour Berlin, Londres, São Paulo
ou Paris. Mais elle voudrait rester dans sa ville qu'elle aime tant. Le
pourra-t-elle pour autant? Comment se voit-elle à 30 ans? "J'adorerais m'occuper
du marketing d'une institution culturelle, mais ça, c'est un rêve. Alors disons
toujours stagiaire non rémunérée. Ou caissière à temps partiel dans un
supermarché."
Alexandre Duyck, envoyé spécial à Lisbonne
(Portugal) - Le Journal du Dimanche
samedi 22 juin 2013
États-Unis • Obama va-t-il enfin fermer Guantanamo ?
La nomination, cette semaine, de Clifford Sloan à la tête de
l’Office of Guantanamo Closure (bureau chargé de la fermeture de Guantanamo)
témoigne d’une volonté nouvelle du gouvernement de fermer le centre de
détention.
Sloan, un éminent avocat de Washington, se chargera, au sein
du Département d’Etat, du renvoi dans leurs pays d’origine de tous les
prisonniers dont le transfert a été autorisé. Il négociera également avec les
législateurs pour modifier les lois qui interdisent actuellement à la
Maison-Blanche de rapatrier les derniers détenus sur le sol américain pour être
jugés et incarcérés.
Le Président Obama aurait choisi Clifford Sloan pour sa
capacité à travailler avec les différentes branches du gouvernement, le Congrès,
la Maison-Blanche et la Cour Suprême. Le poste était occupé précédemment par Dan
Fried, qui a facilité le transfert de 67 prisonniers. Obama l’avait muté en
janvier, ce qui avait entraîné la disparition du bureau de fermeture de
Guantanamo. Puis en mai, le président a prononcé un discours à l’Université de
la défense nationale, où il a tenu à réaffirmer son engagement à fermer le
centre de détention controversé, situé sur l’île de Cuba. Et voilà
qu'aujourd'hui il annonce l’arrivée de Sloan.
“Cela signifie que la question est relancée, se félicite Ken
Gude, vice-président du Center for American Progress, un think tank de gauche.
L’une des premières mesures à prendre sera de trouver un lieu de chute pour les
86 détenus libérables, ce qui était pratiquement impossible en l’absence d’un
responsable chargé du dossier.”
La visite d’une délégation sénatoriale au centre de détention
en juin montre que le dialogue a été renoué entre la Maison-Blanche et le
Congrès.
Un précédent avorté
Néanmoins, au moins une nouvelle tentative de faire de la
fermeture une réalité a d’ores et déjà échoué au Congrès. Le député démocrate de
Virginie, Jim Moran, qui a travaillé étroitement avec le gouvernement Obama en
2009 lors des premiers efforts de fermeture de Guantanamo, a déposé courant juin
quatre amendements de manière à débloquer la situation. S’ils avaient été
adoptés, il aurait alors été possible de libérer ou de déplacer les prisonniers
capturés avant le 21 décembre 2005.
Moran lui-même devrait faire le voyage à Guantanamo à la fin
de l’été avec son homologue républicain de Virginie, Frank Wolf, fer de lance en
2009 de la campagne visant à empêcher la venue des détenus sur le territoire
américain. Ce fut à l’époque l’un des plus gros revers essuyés par le
Président.
Obama, une détermination vacillante
Mais même si le Congrès joue un rôle essentiel, Obama
pourrait faire plus d’efforts, estiment certains. Aux termes de la National
Defense Association Act, loi de 2012 limitant le déplacement des détenus de
Guantanamo, le Président est habilité à signer des dispenses lui permettant de
libérer ceux qui peuvent l’être.
“Le plus surprenant pour nous tous, c'est qu'Obama ne cesse
de tenir le Congrès pour responsable de sa propre inaction, commente Michael
Ratner, un avocat défendant de nombreux détenus de Guantanamo. Mais il a le
pouvoir de procéder dès maintenant aux transferts. La loi a certes été votée par
le Congrès, mais il suffit à Obama de signer une dispense pour que l’opération
puisse démarrer immédiatement.”
Ratner doute de la capacité du Bureau de fermeture de
Guantanamo à soutenir la détermination parfois vacillante d’Obama.
“On l’a déjà vu. Obama s’est débarrassé de Greg Craig, alors
on a eu Dan Fried, et une fois le Président reconduit à la Maison-Blanche, le
bureau de fermeture de Guantanamo a été supprimé. Obama ne l’a fait renaître de
ses cendres qu’à la suite de la grève de la faim observée par de nombreux
détenus du centre de détention. Reste à savoir si Sloan se montrera plus actif
que Fried.”
COURRIER INTERNATIONAL
22.6.13
Now, it's time to say goodbye
CIAO, CIAO, CIAO...
Photo - Robert Doisneau - "Fox-terrier au Pont des Arts" - 1953
Fox terrier au pont des arts - 1953
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